Daphné est la plus insupportable des filles que je n'ai jamais connue, cependant, je ne peux vivre sans elle.
Elle m'exaspère souvent mais me surprend toujours, au moment où je décide de lui dire adieu, par une pirouette touchante, de celle là qui m'a fait craquer le jour où je l'ai rencontrée.
Pas le temps de m'ennuyer avec elle, toujours celui de m'inquiéter de ses absences soudaines accompagnées de ses silences insupportables ou d'être émerveillé par autant de douceurs exquises à mon encontre, attentions inopinées aux détours de rendez vous improvisés par elle, à seul fin de satisfaire mon goût de la diversité.
Il est vrai que je n'ai cessé de lui dire, depuis nos premiers rendez vous, que je déteste la monotonie des habitudes et le collé serré étouffant de l'un avec l'autre, tout le temps, partout et en tout lieu...
Ca me donne l'impression de perdre cette liberté chérie que j'aime tant.
Pourtant, avec elle, j'ai envie d'essayer, de goûter plus en avant le mélange de nos temps, partager plus que quelques heures grappillées ici ou là, selon nos plannings imposés par nos métiers périlleux pour les vies à deux.
J'ai du mal à l'admettre, c'est vrai, mais cette fille me manque et je présente tous ces fichus signes de dépendance quand elle est loin de moi.
C'est ainsi qu'elle fait ce qu'elle veut de moi et que je me retrouve comme un imbécile dans ce métro de la ligne numéro une, avec un camembert bien fait, acheté chez mon fromager, pour le pique-nique de nos retrouvailles qu'elle a organisé aux Buttes de Chaumont par cette belle journée de mai qui se donne des allures de juillet tellement les degrés constatés sont improbables.
Je ne pouvais pas le lui refuser.
Elle me revient après deux mois d'escapades en Amérique du nord à vérifier les circuits proposés par son agence de voyage et, c'est elle qui le dit, elle a du mal à vivre sans deux choses, j'en connais une, odorante à souhait à cet instant, et pour l'autre, je n'ai que des pistes.
J'aurai certes préféré la retrouver en toute intimité, dans le délicieux de son nid douillet imaginé ou, entrave à nos accords, dans celui plus austère de mon appartement près de Saint Paul.
Là, retrouvailles sous le soleil...
La tête me tourne déjà de m'imaginer la prendre dans mes bras, rendant encore plus inconfortable aux entournures, la position en mâle fustigé que j'occupe déjà dans ce métro où la prochaine station fort heureusement, est celle de ma correspondance.
Je comprends mes clients venant me consulter, me déclarant souffrir simplement de leurs voyages en wagon.
Outre le désagrément de la promiscuité non désirée, il faut aussi supporter les regards désapprobateurs des métro-trotteurs mal fichus de penser en bien par l'étroitesse de leurs vues.
Alors, je dénoue et je débloque toutes ces tensions produisant ces maux à vivre mal et triste et fichtre, ils sont nombreux ! Je refuse tous les jours des patients malheureux.
Pour l'instant, je me faufile prestement hors de l'arène car la chaleur n'aide en rien ma surprise Normande qui a elle aussi des velléités à vouloir s'épandre et se répandre ici et maintenant, autrement qu'elle ne le faisait jusqu'à présent.
Il faut que je sorte du réseau et trouver un contenant adapté.
La boulangère me sourit tandis que je me précipite à nouveau vers le métro.
Encore un changement et elle sera tout contre moi, enfin !
-" Fernand, tu ne me croiras jamais !
Je viens de vendre un emballage pour nos glaces à un type qui se ballade avec un camembert par ce temps !
Pour un pique-nique !
Et il a oublié sa baguette !
Les gens sont fous avec cette chaleur ! " .
La ligne 7b est bondée.
Le parc va être pris d'assaut par les parisiens prisonniers de la capitale en envie furieuse de villégiature rurale.
Mon fromage, même ainsi emprisonné, donne de sa présence plus que je ne le voudrai .
Pourtant là, je m'en fiche un peu, j'ai le cœur qui bat bien plus vite et bondir, gravir tous ses escaliers et la retrouver enfin, sont mes seules priorités.
La sonnerie de mon téléphone me cueille à la sortie avec éclat de lumière en prime, pour m'annoncer un message reçu, il est d'elle :
" J'ai essayé de nous trouver un coin sympa mais c'est le mauvais jour alors j'ai posé la couverture du pique-nique dans mon salon.
Je n'ai eu que ton répondeur depuis toute à l'heure.
Tu me rejoins chez moi, à Saint Jacques ? ".
Je redescends encore plus vite, la tête en feu, le corps en tumulte.
Encore trente minutes.
Lorsque je sors du métro à Luxembourg, elle m'a envoyé son digicode.
Je pousse la porte lourde.
L'ascenseur est en panne.
Trois étages à grimper.
Respirer.
Je sonne et m'annonce espiègle en " livreur de camembert!"
La porte s'ouvre sur rires enjoués.
Elle n'est vêtue que d'un chapeau de paille.
Respirer.
La boite à fromage contenu tombe, en disgrâce, à terre avec le couvre-chef défait tandis que, ravissante souriante désirée, elle me saute dans les bras, m'enserrant de ses jambes au plus prés, sa bouche éclairée du rire de ses yeux, avide de baisers que je capture sans hésiter.
Et doucement fort furieusement en délicieux, nous laissons le temps ne parler que de nous et s'égarer.
Nb : Je suis désolée du sacrifié car il faut bien le dire, la chaîne du froid ayant été définitivement brisée, il eut été déraisonnable de s'entêter à le déguster.
Mes excuses donc, aux producteurs de tout fromage pour les sévices infligés.
- " Que veux tu ?
- Juste toi. "
-
-
L'incroyable histoire du financier qui aimait le thé...
J’ai une vie de m. .
Je vous l’accorde, c’est ce que pense la plupart d’entre nous, ici bas.
Moi qui n’aime pas l’effet mouton à béement à l’unisson, je dois reconnaître que je me range à la majorité sur ce fait là et j’aspire à un réel changement.
Comment, je n’en sais rien car je suis tellement enchevêtré dans mon rythme boulot, métro, dodo que je n’ai plus le temps de penser aux actions à mener pour modifier tout ça.
Alors, je râle, je rouspète, je vocifère à tout va et j’en veux forcément à la terre entière, au ciel dans sa splendeur muette, à ma voisine pourtant bien jolie, chantant comme un pinson, à l’herbe coupée chatouillant mon nez du coup rougi, au soleil me faisant plisser les yeux et couler des larmes idiotes à faire s’extasier la passante, traversant la voie, ravie de constater qu’un grand gars ressemblant curieusement au dernier 007, a aussi une sensibilité, un cœur qui bat.
Je la détrompe forcément en démarrant en trombe, après avoir ajusté au plus près mes lunettes de soleil, avec l’envie terrible de lui adresser un geste obscène.
Pauvre de moi!
Il me faut des vacances, un truc à dénicher en clics « chic et tout compris, c’est comme si vous y étiez déjà »…
Oui, mais voilà, pas vraiment du temps pour ça .
Je travaille dans la finance, secteur pointé du doigt, comme si l’on pouvait être épargné plus que qui que ce soit dans les temps obscurs nous cernant vous et moi!
On se fait virer avec perte et sans fracas, histoire de ne pas faire peur aux quidams futurs clients pouvant aller de soi dans ce milieu fichtrement hostile.
Nous nous effaçons sans laisser de trace, avec grand désarroi, toutefois.
Bref, pour échapper à tout ça, je dois bosser comme un forcené en conservant une sereine allure fière et garder sans sourciller, la meilleure des simulations possibles, au plus offrant.
Pas de temps pour « le » sentiment.
Je hais en fait, tout ça.
Je patauge crescendo dans l’agacement et au vue du regard de plus en plus souvent réprobateur de ma concierge et l’air béat de mes condisciples, je devrais vraiment me trouver une soupape de protection, autres qu’une cérémonie de thé parfaitement orchestrée dans mon restaurant japonais préféré ou un entraînement épisodique au Kyudo.
Le destin, le hasard, appelé ça comme vous le souhaitez, fait quelque fois irruption sans crier quoique ce soit et vous balance un challenge qu’il faut savoir attraper pour ce qu’il est et non pas, comme désavantage.
C’est un coup d’interphone à mon appartement, un samedi matin, qu'il s’est présenté comme messager, sous forme d’huissier.
Tandis que ce type montait, je me creusais la tête afin de déterminer ce que j’avais bien plus oublié de payer.
Je me plains certes, mais mon niveau de vie n’est pas si mal pour me permettre un appartement tranquille dans le septième arrondissement de la capitale sans crier famine, au quinze du mois.
L’agent d’exécution venait en fait, m’apporter des documents qui allaient faire prendre à ma vie, un drôle de tournant.
Je me croyais depuis des années sans famille, c’était sans compter sur une grand tante expatriée depuis mes cinq ans, dans ce lointain Pérou, qui me désignait, moi, financier imbuvable parfois, seul légataire de tous ces biens là bas.
Elle avait toujours été considérée comme l’excentrique du lot familial.
Pour ma part, j’avais gardé le parfum sucré de ses bises sur mes joues, mêlées à ses cheveux bouclés doux comme de la soie et de ses rires fusant en constatant le « petit bonhomme » que j’étais à cette époque là.
Elle me laissait un chiffre colossal assorti à des titres de propriétés sur beaux papiers filigranés
Je n’en revenais pas en refermant la porte sur le porteur de toute cette inopinée manne qui faisait de moi celui dont je rêvais encore la veille.
Fichtre, ça faisait tout de même bizarre!
La bonne nouvelle?
Je pouvais désormais me permettre de quitter mon job qui ne me plaisait pas.
Comment dormir dans ce cas là ?
Je cliquais alors, à qui mieux mieux sur les mots clefs dans mon navigateur préféré, espérant découvrir en images soudainement présentées, le patrimoine laissé!
Le Pérou et ses pages sur internet ne me laissait aucune idée de ce que cela serait, un petit air glacé peut être avec l’allusion à la cocaïne et sa place mondiale dans cette production ou amusé, grâce au lama d’Hergé, faisant de moi, un Tintin largement matiné de capitaine Haddock.
Je m’endormais en rêvant d’aventures toutes aussi folles et me réveillais avec un fichu mal au cou assorti à celui, épouvantable, de mon séant.
Comment avoir raison de tout ça ?
Un livreur de FEDEXP me montra la voie en me livrant le pli nécessaire, malgré tout, m’incitant à me conformer, sans nul doute, à l’espèce de mode d’emploi qu’avait laissé cette grand tante prudente pour moi : un enregistrement sous forme de reportage de tout ce qu’elle me léguait en mettant l’accent sur un projet qui lui tenait à cœur et dont elle ne mesurerait pas, hélas, la grandeur.
A ma grande stupeur, je découvris qu’il s’agissait en fait, d’une plantation de thé!
Ma boisson certes, préférée mais pourquoi, aller conduire un tel challenge sur une terre qui laisse plus à penser au café ?
Elle en parlait si bien, évoquant la richesse du sol, la courbure des rayons pour cet ensoleillement parfait, l’hygrométrie variable réellement perfectible dans sa gestion que je sentais cette folle idée me gagner aussi et je me voyais tout à coup, l’Indiana Jones des saveurs du thé maîtrisées aux accents surprenants latins débridés à tout vent.
Les jours suivants passèrent vite entre le consulat dans le huitième, mes affaires françaises à régulariser avant de partir, mon voyage et toutes les formalités inimaginables et inhérentes à un départ de ce type là.
Trois jours avant mon départ, tandis que je me dirigeais vers une station de métro dans le quartier d’Opéra, je fis la rencontre surprenante d’un couple de septuagénaires se tenant par la main, revêtus chacun d’un poncho Péruvien qui, à ma hauteur, m’offrit leur magnifique sourire, en me confiant un « buena suerte » de concert, me plongeant tout à coup dans le perplexe de savoir si cela pouvait s‘adresser à quiconque autours de moi.
Lorsqu’un peu plus tard, mes amis chez qui je me rendais pour dîner m’annonçaient un « financier au thé vert matcha » avec un « suspiro limeno » en desserts, je me demandais si il fallait croire aux signes et si ceux là en étaient.
De toute façon, les dés étaient lancés, je ne pouvais plus reculer .
Rien ne me retenait ici, tout pouvait bien sûr, commencer!
Etait ce cela le frisson de l’aventure, délicieux et envoûtant?
Et alors que le type pointait son gun sur ma tempe en me lançant du « gringo » à tout va, je me dis qu’au final, j’aurai peut être dû ne rester que le financier d’autrefois qui aimait boire son thé en cérémonie ; cependant, en attrapant le poignard glissé dans ma botte et en me débarrassant du problème armé sans effort pour cela, évidemment que j’avais opté pour le bon choix!
Ma grand tante aurait juste dû préciser la proximité de l’espèce de cartel et sa volonté à la recruter pour savoir si bien tout faire pousser.
Mais rien n’est grave ici bas, n’est-ce pas ?
-« Que veux tu ?
- Juste toi. »